Viandes sauvages
Qu'aurez-vous au menu ce soir : bœuf aux légumes, poulet Bar-B-Q ou côtelettes de porc? Et si c'était du singe, de la gazelle ou du porc-épic? Avec l'augmentation spectaculaire de la population mondiale et la demande grandissante pour les mets exotiques de luxe, les forêts et les océans du monde entier deviennent de vastes supermarchés dans lesquels nous nous servons sans discernement. La ressource est loin d'être inépuisable et bientôt les tablettes risquent d'être vides!
La viande sauvage a toujours été et est encore source de subsistance pour de nombreuses populations dans le monde. Elle est souvent moins chère et plus accessible que la viande domestique, particulièrement chez les communautés rurales défavorisées. Elle est aussi liée à des célébrations culturelles et à des cérémonies religieuses, un peu comme la dinde l'est à Noël ou à l'Action de grâce chez les Nord-Américains. Le problème réside dans le fait que cette chasse est souvent excessive et incontrôlée, menaçant directement la survie à long terme de nombreuses espèces animales, et donc la biodiversité. Le phénomène est d'autant plus alarmant qu'une partie de cette viande sert désormais à alimenter les marchés mondiaux. La faune serait dépecée chaque année pour une valeur de près de 2 milliards de dollars! Pour satisfaire les palais les plus fins, des restaurateurs clandestins de New York, de Londres, de Bruxelles, de Paris et même de Toronto inscrivent à leurs menus ces viandes exotiques et différentes : la spécialité du moment? Un tartare de singe accompagné d'un pâté d'autruche! Les assiettes se remplissent, les forêts se vident, et le son des armes à feu remplace peu à peu celui de la faune sauvage.
Portrait mondial d'un phénomène inquiétant
Continent africain
Ici, le produit de la chasse porte un nom bien particulier : la viande de brousse. On estime que de 50 à 80 millions de personnes dans le monde consomment la viande issue de cette région du globe. La quantité de gibier prélevée annuellement en Afrique centrale équivaudrait à 9 milliards de hamburgers. Les primates sont particulièrement prisés : les gorilles, les chimpanzés, les mandrills et les bonobos passent à la casserole, de même que les crocodiles, les pangolins et les éléphants. Uniquement dans les pays du bassin du Congo, le commerce de la viande de brousse est estimé à un million de tonnes par année! En un an, dans le seul marché de la capitale Brazzaville (Congo), la viande de près de 293 chimpanzés s'est retrouvée sur les étalages; pour la même période, 800 carcasses de gorille sont passées des marchands aux consommateurs. La déforestation massive de même que le développement de nouvelles routes exposent des populations animales qui étaient jusqu'alors inaccessibles dans des zones préservées.
Continent asiatique
C'est l'endroit sur Terre où la population mondiale est la plus importante : plus de 4 milliards de personnes. Les besoins alimentaires sont grands et l'attrait de la viande sauvage l'est tout autant! Les produits de la mer sont particulièrement recherchés : tortues, requins et même baleines! La soupe et les oeufs de tortue font sensation; 10 millions de prises sont nécessaires annuellement pour fournir à la demande et bien qu'il existe quelques élevages, la majorité de ces reptiles proviennent de la nature. La viande de baleine est, quant à elle, considérée comme un produit de luxe. L'engouement croissant pour la soupe d'ailerons de requin en Asie fait considérablement augmenter la pêche illégale et contribue ainsi à une diminution inquiétante des populations de squales. On estime que près de 100 millions de requins sont capturés chaque année dans le monde pour satisfaire le marché. Par exemple, entre 2006 et 2007, 350 navires de pêche illégaux ont été interceptés avec à leur bord un total de 1,6 tonne d'ailerons de requin. Les poissons sont capturés, ensuite privés de leur aileron, puis rejetés à la mer; ils sont alors condamnés à une lente agonie. Une espèce de requin sur cinq serait considérée comme étant menacée d'extinction.
Continent européen
La Grande-Bretagne est la porte d'entrée d'une moyenne estimée à plus de 7 400 tonnes de viande sauvage! Illégale, elle est vendue aux restaurateurs et aux épiceries spécialisées sous l'appellation d'une viande légale (par exemple, steak de cheval plutôt que steak de zèbre) ou encore, elle entre dans le réseau des entreprises clandestines. En 1999, un chic établissement de Bruxelles (Belgique) servait une viande bouillie nommée « makaku ». Une analyse du plat, en laboratoire, a démontré qu'il s'agissait de viande de bras de primates! Toujours à Bruxelles, des inspecteurs ont fait la surprenante découverte de chimpanzés, d'antilopes et de porcs-épics pendus au plafond d'un commerce.
Continent américain... le Canada n'y échappe pas!
Pour trouver des braconniers, inutile d'aller bien loin : le Canada doit lui aussi protéger sa faune contre ces chasseurs sans scrupules. Par activité de braconnage, on entend prendre plus de prises que la loi ne le permet, chasser ou pêcher en dehors de la saison ou dans des endroits fermés et prélever des espèces menacées. On estime qu'au pays, les prises des braconniers seraient équivalentes au nombre de prises légales. Pour illustrer ce que cela peut représenter, notons qu'au Québec seulement, en 2007, on a chassé légalement environ 50 000 cerfs de Virginie, 25 000 orignaux, 4 500 ours noirs d'Amérique et 13 500 caribous des bois. Si le nombre d'animaux chassés illégalement est en effet équivalent, et qu'on multiplie par le nombre de provinces et de territoires, on comprend que les autorités ont du pain sur la planche! Malheureusement, le pays est vaste et le défi est grand pour les agents de la faune chargés de veiller sur notre patrimoine sauvage. Les braconniers sont rusés, organisés et discrets, et les prendre en défaut n'est pas toujours facile : au Québec, sur une période de deux ans (2005-2007), seulement 78 gros gibiers (cerfs, orignaux, caribous) ont été saisis par les agents de la faune! De plus, les condamnations liées aux activités de braconnage se limitent bien souvent à des amendes, à des suspensions de permis de chasse et à la confiscation des armes et des véhicules des contrevenants.
Mais le travail acharné des agents, jumelé à des enquêtes minutieuses, leur apporte à l'occasion de beaux coups de filets : en mars 2004, on procédait à la plus grosse saisie de viande sauvage illégale au Québec : 22 000 kg de gibier évalués à près de 400 000 $. Les responsables ont plaidé coupables aux 75 chefs d'accusation et ont reçu 125 000 $ d'amendes.
En mars 2006, les agents de la faune d'Environnement Canada ont collaboré avec la United States Fish and Wildlife Service (FWS) afin de démanteler un important réseau de commerce illégal de strombes géants (aussi appelés conques géantes). La viande du mollusque protégé, en provenance des Caraïbes, entrait en Amérique du Nord sous une fausse appellation. Des inspections scrupuleuses ont permis de saisir 120 tonnes de chair de strombe, dont 27 tonnes au Canada seulement.
Que les braconniers se le tiennent pour dit : la chasse est ouverte et ce sont eux qui se retrouvent désormais dans la ligne de mire des autorités canadiennes!
Des conséquences qui dérangent
On le constate, le fléau du prélèvement excessif lié au commerce de la viande sauvage ne touche pas uniquement les pays pauvres des zones tropicales. Les conséquences d'un tel marché sont lourdes sur l'ensemble des écosystèmes : destruction des habitats, perte de la biodiversité, disparition d'espèces. Dans certaines régions du globe, de grands prédateurs se retrouvent sans ressources, leurs proies de prédilection aboutissant dans nos assiettes. Il en va de même pour les membres des communautés rurales qui, pour la plupart, vivent bien en dessous du seuil de la pauvreté. Pour eux, s'alimenter est un enjeu quotidien et ils risquent de perdre une importante source de protéines. On évalue que, pour un animal chassé par subsistance, 10 le sont pour des fins commerciales.
La consommation illicite de la viande sauvage soulève également de vives inquiétudes en regard de la santé humaine. Souvent découpée, emballée et transportée dans des conditions d'hygiène douteuses, cette denrée peut transmettre virus et bactéries à ceux qui la consomment. Le virus de la fièvre d'Ebola est l'un de ces risques potentiels; il s'agit d'une des maladies virales les plus meurtrières : entre 70 et 90 % des gens atteints meurent dans les 2 semaines suivant l'infection. En mars 2003, l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) a confirmé 92 cas de fièvre d'Ebola au Gabon et dans la République du Congo. Des médias ont rapporté que l'épidémie avait pris naissance dans le foyer d'une famille du Gabon où de la viande de singe avait été consommée.
Le Canada peut compter sur l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) pour veiller à la salubrité et à la qualité des aliments qui passent nos frontières. Les règles et les contrôles sont stricts, mais non sans failles.
Alors, qu'aurez-vous au menu ce soir?
Exemples de manchettes à travers le pays
Un homme reçoit une amende de 44 850 $ pour trafic de poissons et de gibier.
Edmonton – À Lac La Biche, un homme a été mis à l'amende après avoir plaidé coupable à 1 chef d'accusation de trafic de poissons et à 5 chefs d'accusation de trafic de gibier.
Un pêcheur commercial trouvé coupable d'avoir pêcher avec un filet trop long.
Pêches et Océans Canada a annoncé aujourd'hui que Mackenzie Matheson de Vancouver Nord a reçu une amende record de 6 325 $ pour avoir pêché avec un filet trop long. Durant l'enquête, on a démontré que le filet mesurait 263,5 mètres, soit 44 % plus long que la taille légale (183 mètres).
Cinq personnes font face à la justice après la saisie d'une importante cargaison de homards illégaux.
Yarmouth, N.S. – Cinq personnes font face à la justice après que des officiers fédéraux des Pêches et Océans Canada aient confisqué sur leur bateau 5 330 homards prélevés illégalement et ne présentant pas la taille règlementaire.