Espèces envahissantes
Des organismes étrangers envahissent le monde entier, dont le Canada, mais ils ne proviennent pas des confins de l'espace. Ils se présentent sous toutes les formes : ils peuvent être microscopiques ou imposants, d'origine animale ou végétale, avoir deux, six ou huit pattes, voyager seuls ou par milliers. Ils ne connaissent ni les frontières, ni les passeports. On les appelle « les espèces envahissantes ».
Par définition, une espèce envahissante est une espèce exotique (étrangère) dont l'introduction ou la propagation menace l'environnement, l'économie, la société et la santé humaine. Nous côtoyons quotidiennement plusieurs espèces exotiques qui ont élu domicile en sol canadien : 80 % des « mauvaises herbes » de nos pelouses, dont le résistant pissenlit, sont d'origine étrangère. Le chat domestique serait originaire d'Afrique et le pigeon biset, de l'Europe. Regarder dans notre assiette est aussi révélateur : les pommes de terre proviennent d'Amérique du Sud, le maïs du Mexique et le blé, d'Afrique et du Moyen-Orient. Plusieurs espèces exotiques sont bénéfiques, mais bon nombre sont nuisibles. Lorsqu'elles s'incrustent dans un nouvel environnement et qu'elles croissent hors de tout contrôle, elles deviennent envahissantes.
Dans son nouvel environnement, l'envahisseur d'origine animale devient un prédateur, un compétiteur ou un parasite de nos espèces indigènes. Il peut également transmettre des maladies pour lesquelles notre faune locale a peu ou pas de défenses. En l'absence de ses prédateurs naturels (qui n'ont pas suivi le voyageur clandestin), l'espèce envahissante se multiplie et ne dévoile souvent sa véritable nature que lorsque qu'il est trop tard pour la déloger.
Pour entrer au pays, plusieurs possibilités s'offrent aux envahisseurs : l'Amérique du Nord compte des millions de kilomètres de routes, des milliers de kilomètres de voies navigables et de voies ferrées, en plus de compter près du tiers des aéroports de la planète! Les envahisseurs peuvent s'accrocher aux coques des bateaux, voyager dans l'eau de ballast, se dissimuler dans les palettes et les caisses de transport, se glisser dans les fruits et les légumes d'exportation ou encore, se cacher dans le terreau des plants décoratifs des pépinières. Seulement 1 à 2 % des cargaisons commerciales qui arrivent aux frontières canadiennes sont inspectées relativement aux espèces exotiques. Les mailles du filet sont bien grandes pour attraper ces envahisseurs déterminés!
Au Canada, les espèces exotiques envahissantes d'origine animale représentent au moins 181 espèces d'insectes, 24 d'oiseaux, 26 de mammifères, 2 de reptiles, 4 d'amphibiens, 55 de poissons d'eau douce et de nombreux mollusques (2008). Le crabe vert, la truite arc-en-ciel, l'étourneau sansonnet, le longicorne asiatique et la moule zébrée sont parmi les plus connus. D'après Environnement Canada, les Grands Lacs abritent à eux seuls pas moins de 160 espèces exotiques, animales ou végétales. C'est l'augmentation des échanges commerciaux qui est principalement responsable de l'introduction d'organismes nuisibles partout dans le monde. Selon l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), les espèces exotiques envahissantes constituent la deuxième menace la plus importante pour la biodiversité, après la destruction des habitats. Elles seraient responsables de près de la moitié de toutes les extinctions des 400 dernières années.
Les conséquences sont aussi importantes pour notre portefeuille! À l'échelle planétaire, on a évalué à environ 1,4 milliards de dollars US par année les pertes économiques liées aux espèces envahissantes. Le gouvernement canadien déploie beaucoup d'efforts et de ressources pour réduire les effets de ces envahisseurs. Les dommages causés par ces indésirables aux industries forestières et agricoles entraînent des pertes de revenus estimées à près de 7,5 milliards de dollars CA chaque année. Sur une période de 15 ans (entre 1981 et 1995), les ravageurs forestiers indigènes et exotiques ont attaqué plus de 6 millions d'hectares de forêts au Canada, soit 100 fois la superficie de la ville de Toronto! Des dizaines de millions de dollars ont déjà été investis pour réparer les dommages causés par la moule zébrée aux installations des Grands Lacs. Si nous perdons la lutte contre cet entêté mollusque, la facture pourrait avoisiner les 5 milliards de dollars pour les 10 prochaines années!
Soit, le combat semble titanesque, mais chaque individu peut faire sa part grâce à des gestes simples pour éviter des envahissements futurs. En voici quelques exemples :
- Évitez de transporter des fruits, des légumes ou des animaux en franchissant des frontières internationales;
- Ne transportez pas de bois de chauffage sur de longues distances;
- Ne relâchez pas d'animaux de compagnie dans la nature (voir l'encadré);
- Achetez des produits de consommation de source locale.
Oubliez les bonshommes verts venus de loin : les envahisseurs sont ici et gagnent du terrain. Ouvrez l'œil, ils sont partout!
Mais pourquoi introduire de nouvelles espèces?
Une espèce est introduite si elle se retrouve en dehors de son aire de distribution d'origine et qu'elle y est arrivée par une action humaine. Cette introduction peut se faire de façon volontaire ou involontaire, et pour différentes raisons. Mais une chose demeure certaine : volontaires ou non, ces introductions ont un impact souvent insoupçonné sur leur terre d'accueil.
La motivation derrière une introduction volontaire est souvent économique. Par exemple, l'espèce étrangère peut présenter un intérêt en regard de la chasse ou de la pêche sportive, ou encore contribuer à contrôler les populations d'insectes nuisibles aux cultures agricoles. Bien de ces super-héros de l'agriculture deviennent à leur tour une peste dans leur pays d'adoption, puisque leur appétit vorace ne se limite pas aux espèces locales nuisibles. Les animaux de compagnie abandonnés dans la nature par leurs propriétaires sont bien malgré eux les acteurs d'une introduction volontaire.
Les introductions accidentelles surviennent lorsque des animaux clandestins s'embarquent sans permission et voyagent toutes dépenses payées jusqu'à une destination étrangère. Les évadés de fermes d'élevage entrent également dans le lot. Par bateau, avion, voiture et camion, ces espèces peuvent mettre des milliers de kilomètres entre eux et leur terre d'origine.
Les oiseaux de Shakespeare
When he lies asleep,
And in his ear I'll holla "Mortimer!"
Nay, I'll have a starling shall be taught to speak
Nothing but "Mortimer", and give it him,
To keep his anger still in motion
1st Henry IV – 1,3
L'œuvre de Shakespeare contient plus de 600 références à quelques 45 espèces d'oiseaux, dont la corneille, l'autruche, le geai, le pigeon, le cygne et le cormoran. Une seule mention à l'étourneau sansonnet a, à l'insu de l'auteur, transformé le paysage ornithologique de l'Amérique du Nord en entier!
Entre 1890 et 1891, Eugene Schieffelin, de la Société d'Acclimatation de l'Amérique du Nord, a voulu introduire les oiseaux de l'œuvre de Shakespeare aux États-Unis. L'opération avait pour but de faciliter l'intégration des immigrants européens en introduisant un peu de leur faune sur leur terre d'accueil. Plusieurs tentatives ont échoué, dont celle du bouvreuil, de l'alouette et du rossignol.
L'étourneau sansonnet a, pour sa part, connu une des colonisations les plus efficaces à ce jour : les 100 spécimens relâchés à Central Park (New York) sont passés, en moins de 100 ans, à 200 millions d'individus et sont désormais présents du Mexique à l'Alaska! C'est aujourd'hui l'oiseau le plus commun en Amérique du Nord, surclassant même le moineau domestique, également introduit à cette période. Les populations de ce dernier seraient d'ailleurs actuellement en déclin.
Quand les animaux de compagnie deviennent gênants
L'adoption d'un animal de compagnie est souvent le résultat d'un coup de cœur ou d'une impulsion. Mais lorsque la réalité de la charge des soins frappe le propriétaire, la lune de miel prend fin. De nombreux compagnons à poils, à plumes ou à écailles se retrouvent alors bien malgré eux mis à la porte, abandonnés dans cette nature qui, paraît-il, les interpelle. Déracinés, loin de leur environnement naturel, plusieurs y laissent leur peau; certains, par contre, réussissent à y tirer leur épingle du jeu. C'est le cas entre autres de la tortue à oreilles rouges et du python molure.
Dans les années 1980 et 1990, plus de deux millions de petites tortues à oreilles rouges quittaient chaque année les fermes d'élevage américaines afin d'alimenter le marché des animaux de compagnie. Bien des propriétaires se sont vite lassés de ces reptiles encombrants qui peuvent vivre jusqu'à 50 ans. Résultat : plusieurs ont été relâchées dans les cours d'eau les plus proches! Le Canada n'a pas échappé au fléau, et de nombreuses populations survivent et se reproduisent au pays.
Le python molure est un imposant prédateur d'Asie qui peut atteindre près de six mètres de long. Mais inutile d'aller si loin pour l'apercevoir : il est désormais bien installé aux Everglades en Floride! Des études confirment que cette espèce se reproduit dans son milieu d'adoption et influe sur la biodiversité de ce fragile écosystème. Il présente même un risque potentiel pour les animaux domestiques des habitations avoisinantes.
L'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et la Commission de la sauvegarde des espèces (CSE) ont publié la liste officielle des 100 espèces exotiques envahissantes parmi les plus néfastes au monde. Leurs têtes étant mises à prix, voici le portrait de quelques-uns de ces envahisseurs tenaces :
- Rattus rattus : le RAT NOIR
- Bufo marinus : le CRAPAUD MARIN
- Dreissena polymorpha : la MOULE ZÉBRÉE
- Anoplophora glabripennis : le LONGICORNE ASIATIQUE
- Oryctolagus cuniculus : le LAPIN DE GARENNE
- Oncorhynchus mykiss : la TRUITE ARC-EN-CIEL
- Myocastor coypus : le RAGONDIN
- Carcinus maenas : le CRABE VERT
- Felis silvestris catus : le CHAT DOMESTIQUE