Conflits
Les conflits armés et l'environnement
La guerre; le mot fait frémir et rime avec destruction. Lorsqu'un conflit éclate ou qu'une crise survient, le premier réflexe est de sauver des vies humaines et de réduire la souffrance des victimes innocentes. Les préoccupations environnementales sont reléguées au second plan. Pourtant, durant ces périodes de chaos profond, une grande dépendance envers les ressources naturelles persiste, et prouve au contraire que les enjeux environnementaux sont prioritaires : un environnement profondément dégradé menace la survie à long terme des populations déjà éprouvées par les tirs et les bombardements. La nature est l'une des victimes silencieuses et oubliées des conflits armés.
L'intérêt pour les conséquences de la guerre sur l'environnement est véritablement né après l'opération Ranch Hand menée au Vietnam par les États-Unis. Dans un effort pour débusquer les combattants vietnamiens sous l'imposant couvert végétal, les Américains ont, entre 1962 et 1971, déversé plus de 70 millions de litres de défoliant (puissant herbicide) sur près de 1,7 million d'hectares. Au moins 20 % des forêts tropicales et le tiers des mangroves ont été détruites, provocant une perte énorme de biodiversité. Durant cette période, les êtres vivants ont été exposés notamment à la dioxine, qui perturbe les fonctions immunitaires, hormonales et reproductives des organismes. De nombreuses espèces d'oiseaux ont disparu et on a observé d'importantes malformations à la naissance chez plusieurs espèces de mammifères. En 1986, plus de 15 ans après les événements, l'analyse des tissus prélevés sur deux reptiles révélait des taux de dioxine supérieurs de 20 à 70 fois les valeurs observées chez les animaux des pays industrialisés. Les combats sont terminés depuis belle lurette, mais les survivants se battent toujours pour leur survie.
Les tactiques modernes de guerre, telles que vues au Vietnam, au Japon, en Iraq et plus récemment en Afghanistan, ont un pouvoir destructeur immense et produisent des effets ravageurs sur l'environnement. Par exemple, la destruction de sites industriels et militaires contaminent l'air, le sol et les réserves d'eau douce en libérant notamment des métaux lourds et des substances chimiques nocives pour le milieu : en 1999, à la suite des bombardements au Kosovo, 80 000 tonnes de pétrole, 2 000 tonnes d'éthylène, 250 tonnes d'ammoniaque et 8 tonnes de mercure se sont retrouvées dans l'environnement. Les infrastructures civiles, comme les centres d'assainissement des eaux, sont souvent visés par les bombardements; les risques de contamination des eaux souterraines et de surface deviennent accrus. Les fragiles écosystèmes des milieux aquatiques peinent souvent à s'en remettre. Un autre exemple concerne les mines individuelles : on estime que près de 65 millions de ces engins menacent la population humaine et la vie sauvage de nombreux pays dans le monde. Le cas de Mosha, une jeune éléphante de 7 mois, est un exemple parmi tant d'autres. Alors qu'elle accompagnait sa mère occupée au transport du bois dans la forêt, la petite femelle a perdu une dizaine de centimètres à sa patte droite en la posant sur une mine. Voilà de nombreuses années que les éléphants sont victimes de ces armes destructrices à la frontière de la Thaïlande et du Myanmar (Birmanie).
La destruction d'habitat et la disparition d'animaux sauvages qui en découle se produisent habituellement pour des raisons stratégiques, commerciales ou de subsistance. Par exemple, la végétation peut être coupée ou brûlée afin d'augmenter la visibilité ou la mobilité des troupes. Les ressources naturelles, comme le bois et l'ivoire, sont exploitées sans ménagement afin de financer les activités militaires. En République démocratique du Congo (RDC), on a observé une augmentation du nombre d'orphelins chez les bonobos durant les pics de violence : les combattants qui déambulent en forêt prennent les grands primates pour cible. On a estimé que plus de 70 % des incidents liés à des activités de braconnage dans le parc national de la Garamba (RDC) impliquaient des membres de groupes armés. Même son de cloche au parc national des Virunga, dans l'est du Congo, où les hippopotames sont décimés par les guerres et le braconnage. De 30 000 têtes il y a trente ans, leur nombre est passé à moins de 1 300 de nos jours. Des groupes armés tuent les hippopotames sans discernement pour leur viande et pour leurs défenses en ivoire.
Les réfugiés et les personnes déplacées peuvent aussi avoir un impact local important sur la faune et la biodiversité. Durant la guerre civile au Rwanda, en 1994, plus de 700 000 réfugiés furent contraints de s'installer dans des camps de fortune à la limite du parc national des Virunga. Selon les estimations, 35 km2 de forêt ont servi comme matériau de construction et bois de chauffage. Incapables de se tourner vers l'agriculture ou le bétail pour se nourrir, près 40 000 personnes franchissaient quotidiennement les limites du parc afin d'y récolter les plantes sauvages ou d'y chasser les animaux. Le parc national des Virunga fut le premier site du patrimoine mondial de l'UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture) à être déclaré menacé par un conflit armé.
Le constat est clair : tous les conflits armés ont des impacts environnementaux importants. Cependant, ce regard jeté aux conséquences sur le milieu et sur la biodiversité n'enlève rien à l'indignation provoquée par le sort des populations humaines concernées. Il faut cependant réaliser que les impacts catastrophiques des guerres sur la nature rendent bien souvent difficile l'accès aux ressources et la reconstruction de la zone dévastée, et ce, bien après l'arrêt des hostilités. Les actions posées afin de préserver la biodiversité en situation de conflits armés doivent donc être perçues comme une volonté de venir en aide aux populations humaines prisonnières d'une situation grave et douloureuse.