Souvenirs de voyage
Qu'avez-vous à déclarer?
Voyager, c'est l'occasion de s'évader et de vivre de nouvelles aventures. Pour prolonger l'ivresse du voyage, rien de tel qu'un petit souvenir qu'on exhibera fièrement dans sa chambre ou dans son salon. Geste banal? Non, puisque chaque année, des centaines de milliers d'animaux y laissent leur peau. De nombreux objets vendus comme souvenirs de voyage sont fabriqués à partir d'animaux qui souvent sont menacés d'extinction. Multiplié par des centaines de millions de voyageurs dans le monde, ce geste apparemment innocent se transforme en un commerce aux proportions gigantesques. Le tourisme international pourrait annoncer la fin du voyage pour bon nombre d'espèces animales.
À travers le monde, les étalages craquent sous le poids des carapaces de tortue, des bibelots d'ivoire, des coquillages spectaculaires et des produits en peau de reptile. Si c'est accessible, c'est donc permis? Pas nécessairement. La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES), signée par plus de 173 pays (dont le Canada), contrôle le commerce à l'échelle internationale; il peut donc être tout à fait légal pour un commerçant de vendre un objet d'origine animale à l'intérieur du pays visité, et ce, même si le commerce international de cet objet est banni... Un vrai casse-tête! La CITES interdit les transactions d'objets pour des fins commerciales concernant plus de 800 espèces de plantes et d'animaux (par exemple tigres, tortues marines et rhinocéros) et règlemente celles concernant plus de 25 000 espèces au moyen de permis (par exemple coraux, plusieurs espèces de reptiles et d'oiseaux). Avant de plier bagages, les citoyens des pays signataires de la Convention doivent nécessairement se conformer à ces règles, au risque de voir leurs achats confisqués aux douanes.
En fouillant les valises, les douaniers font d'étonnantes découvertes. Parmi les souvenirs confisqués, on retrouve :
- Des bottes, des souliers et des sacs à main en peau de crocodile ou d'alligator; des têtes de caïman en porte-clés.
- Des conques géantes des pendentifs, des boucles d'oreilles, des bracelets et des breloques en corail.
- Des ceintures, des porte-monnaie et des vestes en peau de serpent; des lézards naturalisés.
- Des tortues naturalisées; des carapaces utilisées comme instruments de musique (caisse de résonnance de guitare); des barrettes à cheveux, des peignes, des montures de lunettes en écailles de tortue.
- Des produits entrant dans la pratique de la médecine traditionnelle asiatique : os de tigre, corne de rhinocéros, vésicule biliaire d'ours noir, etc.
- Des statuts, des bibelots, des bracelets, des pendentifs, des coupe-papiers, des boîtes à bijoux, des sculptures et des jeux d'échecs en ivoire d'éléphant.
Les voyageurs ont-ils une dent contre les éléphants?
À l'époque de nos grands-parents, de nombreux objets usuels étaient faits en ivoire d'éléphant : touches de piano, boules de billard, pièces d'échiquier, etc. Résultats : en moins de 50 ans, les populations d'éléphants d'Afrique sont passées de plus de 3 millions à moins de 500 000 individus, principalement en raison du commerce intensif. De nos jours, c'est essentiellement pour la fabrication d'ornements, de bibelots et de bijoux que la demande en ivoire est toujours aussi forte. Entre 1998 et 2007, au moins 176 tonnes d'ivoire illégal ont été saisies sur le marché international, ce qui représente la mort de près de 26 675 éléphants. Il ne s'agit que de la pointe de l'iceberg, puisque les autorités frontalières n'interceptent que de 10 à 15 % des marchandises illégales du commerce international. Et chaque défense vaut sont pesant d'or : en 2007, un rapport a indiqué que le prix de vente de l'ivoire sur le marché noir japonais avoisinait les 850 $ le kilogramme. La paire de défenses d'un éléphant mâle peut atteindre les 100 kg. Le gros pachyderme ne fait pas le poids contre les billets verts!
L'attrait des joyaux de la mer
Les fonds marins sont des écosystèmes fragiles d'une beauté à couper le souffle. Pas étonnant que plusieurs soient prêts à mettre le prix pour emporter un petit morceau de paradis. Le corail est un animal qui vit à l'intérieur d'un squelette de carbonate de calcium; cette enveloppe rigide est employée pour la fabrication de bijoux. Sa croissance est très lente : de 1 à 1,5 centimètre par année. De nombreux spécimens, dont certains ont plusieurs centaines d'années, sont déracinés pour répondre à la demande (environ 1 000 tonnes annuellement). Les récifs coralliens abritent pas moins de 25 % de tous les poissons de l'océan et figurent parmi les écosystèmes les plus diversifiés de la planète. Les activités humaines menacent actuellement près de 58 % de ces milieux marins uniques; plusieurs ne s'en remettront jamais.
La récolte ne s'arrête pas aux coraux : les rutilantes carapaces des tortues de mer, les terrifiantes dents de requin et les coquillages nacrés géants sont également cueillis du fond des mers et offerts aux touristes. L'océan, si vaste, est dépouillé peu à peu d'une faune unique et irremplaçable.
Que cachent les canadiens dans leurs valises?
Les Canadiens sont de grands voyageurs : en 2007, près de 13 331 000 de personnes ont pris un vol vers une destination hors du pays. Parmi les 15 pays étrangers les plus visités la même année, on compte le Mexique, la République Dominicaine, Cuba, la Chine et Hong-Kong, des endroits où l'offre de souvenirs d'origine animale abonde dans les marchés publics. En 2007, à l'aéroport international Lester B. Pearson de Toronto, on a confisqué près de 4 000 articles d'origine animale ou végétale pour lesquels les propriétaires n'avaient ni les droits, ni les permis.
L'année 2007 a également vu la plus grosse saisie d'ivoire au pays : 30 000 pièces sculptées, évaluées à plus de 100 000 $, ont été interceptées par les autorités canadiennes. Le responsable a été condamné à 9 000 $ d'amendes et à verser un autre 9 000 $ aux activités de conservation de l'éléphant en Afrique.
Certains insectes, bien que petits, font également face à de gros problèmes de survie : c'est ce qu'un Québécois a appris à ses dépends en 2001. Il a été trouvé coupable d'importation illégale de six ornithoptères géants, un insecte rare reconnu comme étant probablement le plus grand papillon au monde. Le contrevenant, un chercheur reconnu dans le domaine de l'entomologie, a payé cher sa faute : une amende de 50 000 dollars et une tache à sa réputation.
Achète ou achète pas?
Soit, la perspective de devoir se casser la tête en voyage devant les étalages pleins à craquer ne réjouit personne; celle de terminer ses vacances devant un douanier au regard réprobateur non plus! Pour éviter les faux pas, si vous avez un doute sur la nature de l'objet ou sur la possibilité ou non de le rapporter au pays en toute légalité, abstenez-vous! Optez pour un souvenir de voyage qui ne met pas en péril la survie d'espèces animales ou végétales : des paniers tressés, des bijoux de pierre ou de verre, des poteries ou encore des peintures feront très bien l'affaire. Pour un effet plus vrai que nature, la noix de tagua, ou ivoire végétal, représente une alternative intéressante à l'ivoire d'éléphant. Devenir un consommateur averti est un investissement direct dans la protection de la faune.